Avant que de tout perdre

Dans son septième roman, Perdre le corps (Gallimard, 2021), Théo Ananissoh, l’écrivain togolais venu en résidence d’écriture à Brive en 2011, brouille les frontières de l’amour et du pouvoir. Il fouille avec finesse le cœur des êtres aux différents âges de la vie pour mieux percer à jour le mystère qui les anime. Entretien.

perdre le corpsFoire du livre de Brive : Quel est le point de départ de ce roman ?
– Théo Ananissoh : Jean Adodo, 56 ans, revient chez lui à Lomé après une trentaine d’années passée en Suisse. Il voit souvent passer un jeune voisin, Maxwell Sitti, 28 ans. Il l’invite un jour et lui fait une proposition inattendue : courtiser Minna, 25 ans, contre une forte rétribution. Jean Adodo explique que c’est parce qu’il ne veut plus poursuivre sa liaison avec Minna. Max Sitti, quand il voit Minna, tombe amoureux d’elle et découvre, peu après, qu’en réalité Jean Adodo et Minna se connaissaient à peine de vue. Pourquoi alors cette mise en scène de la part de Jean ? Quelles intentions se cachent derrière cela ?

FL : Que se joue-t-il dans ce triangle amoureux qui ne tourne pas rond ?
– T.A. : Ce point de départ qui a l’air quelque peu cynique ne l’est peut-être pas tout à fait. Jean Adodo a bien une idée discrète à l’égard du jeune Max ; mais celui-ci ne sera pas une victime de Jean et Minna pas une proie, bien au contraire. Toutefois, Max, pris entre Jean d’un côté et Minna de l’autre, va vivre une éprouvante période sentimentale à laquelle il consent et qu’il est difficile de décrire davantage sans trahir la trame du roman.

FL : L’amour justifie-t-il tout et vaut-il ce qu’il coûte ?
– T.A. : Question complexe qui, je crois, est l’un des sujets essentiels de tout le roman. Cette question est très pertinente. La réponse n’est pas aisée. L’argent (ou ce qu’il permet) joue un rôle décisif dans le roman. Il y a une confrontation crue à plusieurs reprises entre l’argent (ou le pouvoir) et l’amour ou ce qu’on éprouve comme tel. Il y a comme un jeu d’enchérissement exagéré contre l’amour. Mais j’avoue que je préfère laisser le lecteur se faire son opinion.

FL : Perdre le corps, est-ce tout perdre ?
– T.A. : Maxwell Sitti, qui est le narrateur, dit quelque chose de ce genre. Cela lui vient à propos de la maladie et du vieillissement. La maladie est un des sujets du roman qui pose en face à face la jeunesse et l’âge mûr, la bonne santé et la maladie.

Pour suggérer quelque chose, j’aimerais paraphraser ici une phrase de Blaise Pascal : un arbre ne sait pas qu’il perd le corps.

 

Crédit photo : Padovani / Gallimard