AMANDA STHERS

C’est un petit roman qui se lit vite. Mais on aimerait que sa lecture dure longtemps.

On y fait la connaissance d’Alice, 48 ans, professeur de lettres à la retraite à qui ses élèves reprochaient de « donner froid ». Elle aurait préféré une moquerie plus banale, plus acceptable, une de celle qui aurait pu faire moins honte à sa fille Marine qui n’a jamais avoué à ses amis le lien de parenté qui l’unissait à cette drôle de prof. « On me pense austère mais je suis brouillonne ». Et jamais elle n’a réussi à mettre au propre son existence. Alice est restée une figurante, une spectatrice muette de sa vie. Telle une proie, tel un pion, elle a été utilisée et déplacée toute son existence au gré des caprices des uns et de la perversité des autres. Et voilà que l’histoire se répète. Écrite cette fois-ci par sa fille qui l’exile à Paris. Voici sa mère à portée en cas de besoin et gardée à distance en attendant.

Telle est la place de celle qui n’en a jamais trouvé aucune. Jusqu’à sa rencontre avec un masseur japonais. Le pur fruit du hasard. Alice n’aurait pas dû se trouver là. Mais ce 16 octobre-là, c’est elle qui a pénétré dans ce salon de thé et qui, prenant la place d’une certaine madame Renoir, s’est retrouvée entre les mains de celui qui allait lui sauver la peau. Car il est vraiment question de cela. C’est l’histoire d’un sauvetage, d’une reconstruction, d’une renaissance.

Ce roman est une incroyable déclaration d’amour. Alice ne partage pourtant ni la langue ni la culture de cet homme avec qui elle a échangé très peu de mots et tant de choses pourtant.

Alors bien sûr on peut trouver la forme de la lettre usée. Bien sûr on peut craindre les stéréotypes, l’artificiel de cette forme narrative mais Amanda Sthers sait s’en affranchir. Cette lettre est pour Alice le moyen de s’exprimer, de se raconter, de se retrouver, mais aussi d’ouvrir un espace-temps qui n’existe nulle part ailleurs qu’entre elle et cet homme. Dans ce monde, la chronologie n’est pas de rigueur. Alice fait des détours, des boucles; et, embrassant d’un même élan passé, présent et futur, elle raconte des souvenirs qui n’existent pas encore. Elle rêve d’un « demain hier » dans lequel plus rien que le présent n’existerait. Elle invente une temporalité, celle où ils se retrouveraient. Où elle pourrait s’aimer.

Plongez dans cette histoire d’amour qui n’a pas encore commencé. Ecoutez Alice dérouler sa « pelote de peine ». C’est de la dentelle. Lirez-vous Lettre d’amour sans le dire d’une seule traite ? C’est tentant. Et si, comme Alice qui décide de ralentir et d’apprendre le japonais pour fuir Paris, vous preniez le temps de la savourer ?

Jennifer Bressan

Lettre d’amour sans le dire, Amanda Sthers, Grasset, mai 2020, 131 pages, 14,50 euros