PHILIPPE DJIAN

Une fois n’est pas coutume, le dernier roman de Philippe Djian est bien étrange. Il laisse planer une drôle d’impression, l’incertitude voire l’incompréhension. Il faut dire que l’écrivain de 70 ans qui écrit depuis bientôt 40 ans est passé maître dans l’art de l’ellipse et de la suggestion.

Dans 2030, comme à l’accoutumée, le lecteur retrouve une famille qui doit se supporter et parmi elle, un frère, celui de Sylvia, prénommé Greg et son beau-frère Anton, colosse de 100 kilos assez pathétique qui dirige un laboratoire où travaille Greg. Celui-ci vient de falsifier pour son patron une étude sur un pesticide. Lucie et Aude, les filles au fort caractère de Sylvia, et Vera, l’éditrice, complètent ce drôle de casting. Tous peinent à s’imposer dans le décor.

De ce décor justement, parlons-en. Entre chaleur accablante et pluie torrentielle, le thermomètre de la planète s’est définitivement déréglé. Le constat est consternant. Et pourtant, une guerre écologique avec des climatosceptiques continue de faire des ravages et des victimes qui n’émeuvent plus personne. Mais une fois encore chez Djian, l’espoir demeure. Il est porté par le combat des personnages féminins, Véra en tête qui coordonne des manifestations dirigées contre le laboratoire d’Anton. Lucie, passionnée et déterminée, se joint aussi à la bataille. Comme Greg. Mais le rôle qu’il joue au sein du laboratoire ne plaide pas en sa faveur. Il ne saurait jouer sur les deux tableaux longtemps, ne crachant pas sur l’argent sale du laboratoire d’un côté, tout en jouant les héros de l’écologie de l’autre. Anton ne perd pas une occasion de le lui rappeler. Greg sait à quoi il doit la Porsche dans laquelle il roule. Il n’en est pas fier. Il s’en débrouille avec sa conscience jusqu’au jour où un premier décès est imputé au dangereux pesticide qu’ils ont maintenu sur le marché en toute connaissance de cause. C’en est trop pour Greg.

D’un naturel désœuvré, il semble moins chercher à lutter qu’à résister. Mais combien de temps pourra-t-il résister, lui qui quelques années plus tôt a perdu femme et fils dans un accident de la route. Et, à bien y regarder, aussi peu campés les personnages soient-ils, tous paraissent bancals. Anton et sa petitesse intéressée, Lucie qui entend assouvir sa soif de révolte coûte que coûte, Aude, handicapée à la suite d’un mystérieux accident, mais aussi Sylvia absorbée dans le monde virtuel que cette époque a portée au pinacle. 

Comme son titre l’indique, ce roman se déroule en 2030. A la faveur d’indications distillées en coup de vent, le romancier dépeint sans s’y appesantir un monde sans herbe verte, ni ciel bleu, sans couleur ni odeur. On ne sait pas bien comment ce monde marche autrement que sur la tête. Mais chez Djian, c’est définitivement moins l’histoire qui compte que la langue. Elle se doit de capter l’air du temps. Celui de demain en l’occurrence et il est à peine respirable.

 2030, Philippe Djian, Flammarion, à paraître en septembre 2020, 210 pages. 20€

Jennifer Bressan