TATIANA DE ROSNAY

Commencer le dernier roman de Tatiana de Rosnay, c’est le terminer. Vite. Pour connaître le fin mot de l’histoire. Difficile avant cela de lâcher Les Fleurs de l’ombre paru aux éditions Robert Laffont-Héloïse d’Ormesson. C’est un livre qui se lit d’une seule traite. Rien ne résiste entre ses lignes sauf une question. Qu’y a-t-il derrière les murs de cette résidence haut de gamme et qui propose de louer à des prix défiant toute concurrence des appartements sur-connectés dans un Paris qui se relève juste d’attentats dramatiques qui ont touché la capitale en son cœur.

Parmi les locataires, que des artistes. Mais là ne se trouve pas être le seul de leur point commun. Clarissa va finir par le découvrir. Elle est l’une des locataires. Elle fait partie des élus, des bienheureux, des chanceux. Vraiment ? Elle a passé sur un coup de tête l’entretien d’entrée, plutôt étrange d’ailleurs. Ils sont bien curieux chez CASA, société qui est derrière ce projet et dont les membres sont à la pointe de la recherche en matière d’intelligence artificielle. Pourquoi les artistes les intéressent-ils tellement ?

Clarissa, femme attachante, mère et grand-mère de femmes de caractère, Jordan et Andy, voyait dans cet emménagement sa seule issue. Après des années de mariage et autant d’infidélités, elle vient brutalement de quitter François, son deuxième mari. Cette fois-ci, il semble avoir commis l’écart de trop. Ni une ni deux, elle a bouclé ses valises. Où aller ? Chez son premier mari dont la séparation avait été rendue inévitable par l’impossible deuil de cette mère brisée qui a accouché d’un fils mort-né. Même la naissance de sa fille, Jordan, n’avait rien changé. Chez son père centenaire qui vit à Londres et qui a gardé une joie de vivre de jeune homme ? Elle a foncé tête baissée dans la résidence neuve de chez CASA. Et cela ne lui ressemble pas.

Géomètre devenue écrivaine sur le tard, Clarissa s’est toujours passionnée pour l’âme des maisons et la façon qu’ont les gens d’y habiter. Aurait-t-elle été fort peu inspirée en s’installant entre ses murs neufs qui, s’ils n’ont pas de passé, semblent bel et bien avoir des yeux et des oreilles? A moins que ce ne soit elle, Clarissa, qui délire. Retombe-t-elle dans la dépression d’hier, vire-t-elle paranoïaque ou le danger rode-t-il vraiment ? Elle va trouver dans sa petite fille Andy une alliée pour démêler le normal et l’a-moral. Qu’est-on prêt à aliéner pour s’assurer une tranquillité, la sécurité ? Sa liberté ? Son intimité ? Car oui, la résidence déborde de caméras qui « veillent » constamment sur les locataires. Mais si c’est pour la bonne cause … Et que Clarissa a-t-elle à cacher de toute façon. Elle n’est qu’une femme ordinaire devenue écrivain sur le tard, passionnée par Virginia Woolf mais aussi Romain Gary qui s’est suicidé dans sa chambre…

Dans un futur proche et peu réjouissant, sur fond d’attentats, de dislocation européenne et de crise politique et écologique, Tatiana de Rosnay reste fidèle à ses thèmes de prédilection, l’empreinte des lieux et le poids des secrets. Cette écrivaine à succès, auteur de 12 romans dont Elle s’appelait Sarah, tisse-là une intrigue addictive dans laquelle se reflètent le rôle déterminant et l’apport irremplaçable de l’art et des artistes.

Les Fleurs de l’ombre, Tatiana de Rosnay, Robert Laffont-Héloïse d’Ormesson, 331 pages. 21,50 euros.

Jennifer Bressan