LAURENT PETITMANGIN

Il est des astres qui miraculeusement s’alignent. Et d’autres pas. Des vies qui naturellement s’ordonnent et des êtres qui se retrouvent au bon endroit, au bon moment. Fus, ce gamin qu’on voit grandir et trébucher, n’est pas de ceux-là.

Tout n’avait pas si mal commencé pourtant dans cette famille de Meurthe-et-Moselle où on n’appelle pas son voisin Jacky mais le Jacky. Alors bien sûr, ils ne roulent pas sur l’or et se partagent les miettes laissées par la désindustrialisation, alors même qu’à côté, un seul gâteau est devenu trop gros pour leurs réunions syndicales dépeuplées. Malgré tout, ils étaient heureux tous les quatre. Mais aujourd’hui, la « môman » n’est plus là. Un cancer l’a attrapée et sa mort a emporté avec elle la canne qui tenait debout ce quatuor devenu trio bancal. La loupe se resserre alors sur les trois hommes. Le père et ses deux garçons, Fus et Gillou, qu’il accompagne tant bien que mal avec ses craintes, ses maladresses et sa tendresse jusqu’aux portes de l’ascenseur social qui ne pourra pas faire monter tout le monde.

Et il faut bien lui reconnaître qu’il ne s’en sort finalement pas si mal, en tout cas jusqu’à ce que lui échappe son Fus qui se met à traîner avec de nouveaux amis. Pas de ceux que ce père qui a le cœur à gauche aurait rêvé pour son aîné. Et voilà qu’insidieusement, le narrateur va assister, impuissant et incrédule, à la dérive de son fils. La chute est lente, à peine perceptible au départ mais au fil des événements, le père doit bien se rendre à l’évidence. Le voilà obligé de rentrer dans la peau du père qu’il ne veut pas être. Le père du facho. Rôle qui ne lui était pas destiné. Le voilà même prisonnier dans un corps étranger qu’il ne sait plus habiter.

Ce qu’il faut de nuit est un livre sur la déception qui pose la question du pardon et de la réconciliation, de la transmission des valeurs et de la contingence de la vie. Avec une infinie pudeur, une justesse parfaite, Laurent Petitmangin fait exister la voix d’un père qui ne trouve plus les mots. Dans ce premier roman court et bouleversant, l’auteur observe la trajectoire des vies et ses hasards. Comment certains s’en sortent et pourquoi d’autres tombent ?

Familial et social, intime et universel, ce roman raconte sans détours le quotidien de ce père qui n’essaie pas de se montrer plus digne qu’il ne l’est. A l’instar de ce personnage désarmant de sincérité, l’auteur ne cherche pas à écrire plus beau que ça ne l’est. Il n’aurait pu écrire plus vrai.

Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin, la Manufacture de livres. 198 pages, 16,90euros. A paraître le 20 août.

Jennifer Bressan