Antoine Silber

« Être l’arrière-petit fils de Lazare, le petit-neveu de Samuel, le petit-fils d’Ernest, le neveu de Roger, descendre de ces hommes-là, au fond, m’obligeait, » écrit Antoine Silber dans Tout cet hier à l’intérieur de moi. Il y a semble-t-il beaucoup d’émotions dans cette obligation là. Du respect d’abord, mais aussi une volonté vitale de déposer le passé pour mieux s’en libérer, pour reconquérir une identité. L’origine, la transmission, la famille, l’histoire d’un peuple sont autant de questions posées dans ce livre tendu par l’émotion, guidé par la sincérité.

Après Le silence de ma mère et Ton père pour la vie, Antoine Silber décide de remonter plus loin, de suivre pas à pas cette famille de juifs polonais, natifs de Cracovie qui bientôt, se disperseront, au début du XXe siècle, rejoignant l’histoire de tant de juifs contraints à l’exil, fuyant les pogroms puis plus tard, l’horreur nazie.
L’Amérique pour certains, Anvers et le quartier des diamantaires, les places d’Ostende ou la France pour les autres, tous viennent de Kazimierz, le quartier juif de Cracovie où l’auteur décide de retourner. Là où il ne reste que des adresses imprécises et des tombes profanées, une ville qui immédiatement lui paraît familière, où il lui semble apercevoir les silhouettes de ses ancêtres: Lazare, son arrière grand-père dont on ne sait s’il était rabbin, cafetier, marchand de harengs ou tout cela à la fois; Samuel son grand-oncle mort prématurément après avoir fait la « Une » des journaux français qui l’accusaient d’escroquerie; Ernest, son grand-père, diamantaire à Anvers avant de se transformer en Juif errant et de finir ruiné, victime d’une crise cardiaque devant une table de casino de Monte-Carlo; Roger, son oncle, peintre génial et maudit qui toute sa vie ne jura que par Van Gogh et trouva refuge dans le Midi de la France auprès de Jean Giono et de René Char.

Celui qui explique avoir grandi, entouré de l’idée de la Shoah plus que des membres d’une famille vivante, décide dans ce livre intime et dense de reconstituer la vie. Reconstituer la vie pour lui, c’est d’abord défaire les antagonismes, celles de fils restés toute leur vie en guerre contre leur père, celles de frères qui n’auront jamais fait la paix. L’auteur voulait comprendre les raisons de cette colère.

C’est un livre sur la mort, les cimetières, les camps de concentration d’où la lumière filtre pourtant, irradie. Mélange de petite et de grande histoire, ce livre raconte aussi une histoire d’amour avec Laurence, la femme aimée, celle qui écoute, celle qui comprend, maillon indispensable de ce roman d’hommes dédié aux trois filles de l’écrivain. Un récit salvateur empli de respect, de reconnaissance mais aussi et surtout gage de renaissance.

Tout cet hier à l’intérieur de moi, d’Antoine Silber aux éditions Arléa. 124 pages. Août 2018.